Larry Flynt de Milos Forman

Affiche de Larry Flynt de Milos FormanTout comme le principe d’adaptation, le biopic n’acquiert réellement de valeur qu’à l’instant où, au-delà de la reproduction didactique (rester fidèle à l’homme dont on conte l’existence), le metteur en scène parvient à exprimer un discours universel.

Or, en optant pour la biographie romancée, Milos Forman en vient à l’essentiel, c’est-à-dire ne pas illustrer une vie de façon réaliste, ce qui serait un frein à la fiction et à son potentiel, mais sa dimension allégorique, ce qui est largement plus cinématographique. Un message est toujours plus puissant quand il se fait fiction, évidence assimilée par Forman depuis le temps où il captait Prague (et son climat politique) par l’axe de sa caméra.

A travers trois films, Amadeus, Larry Flynt et Man on the Moon, Forman se sert d’un artiste et de son caractère atypique pour exprimer un discours plus fondamental, portant sur les en-dehors de la création (jalousie, envie, fascination et haine), la nécessité démocratique de la liberté d’expression et l’absence de barrières morales propre à l’exercice humoristique. En fait, là où ces œuvres forment une trilogie, c’est parce qu’à l’intérieur de la vaste filmographie du cinéaste, elles s’efforcent à mettre en exergue l’importance cruciale de l’expression artistique. Le personnage devient le discours, et celui de Flynt le caractérise nettement : « Vous savez, tout le monde est pour la liberté d’expression jusqu’à ce que vous commenciez à les interroger sur le sujet. » . Phrase que l’on peut ajuster sur les propos de Forman himself :  « Parce que si vous aviez vécu, comme je l’ai fait, plusieurs années sous le totalitarisme nazi, et puis 20 ans sous le totalitarisme communiste, vous réaliseriez certainement à quel point la liberté est précieuse et à quel point il est facile de perdre la votre. »

La bataille de Flynt – rappelons que le titre original n’est autre que Larry Flynt versus the People – est intemporelle, et elle compte aux yeux de Forman car les propos radicaux que véhicule Flynt symbolisent la forme la plus vaste de la liberté morale. On pourrait même parler de libération morale, puisqu’il s’agit d’un combat où la parole, entièrement libérée, se doit de modifier le regard de l’audience, celle du film. Larry Flynt est bel et bien un film de tribunal, tout comme JFK d’Oliver Stone, qui lui aussi traite d’une modification de la pensée et de la remise en question comme source de progrès historique. Mais ce regard, c’est aussi et surtout notre propre perception de spectateur. L’empathie est clairement du côté de Flynt, puisque, vaste champ de la fiction s’il en est, l’œuvre est à la fois politique, philosophique (qu’est-ce que l’Art en vérité et jusqu’où peut-il aller ?) et romantique. Larry Flynt est à la fois un symbole, un fantasme et un homme tout ce qu’il y a de plus fragilisé. Ce qui le détermine, c’est sa façon d’agir.

La liberté est une action constante tenant du militantisme, élément précieux pour Forman dans la mesure où cette idéalisation correspond à la carte d’identité du réalisateur. Effectivement, Forman a bien connu la répression sous sa forme la plus frontale : son père faisait partie de la résistance tchèque, ses parents ont été déportés à Auschwitz et ses premiers faits d’armes, indéniablement satiriques, contestaient le vide déprimant propre aux créations de l’ère communiste. L’Art, c’est Flynt, être perturbateur naviguant à contre-courant de la tiédeur idéologique de sa société (qui aime la masturbation mais ne l’avouera jamais), car l’art, c’est avant tout la résistance…

woody harrelson dans Larry Flynt de Milos Forman

L’œuvre admet que la contestation est indissociable de la création artistique, preuve en est de la vie-même du réalisateur de Vol au dessus d’un nid de coucou qui, pour poursuivre sa carrière sans entrave à sa liberté d’expression, émigrera lors du Printemps de Prague. C’est dire à quel point un simple biopic peut être éminemment personnel.

Or, ici, la liberté est toujours perçue en sa plus forte complexité. L’artiste, à la fois stupide et brillant, mégalomane et fragile, iconique et cruellement mortel, y est capté dans son ambivalence la plus totale, entre son comportement suicidaire et ses fulgurances géniales. Ce qu’il en reste, c’est sa capacité à créer, et surtout la primordialité de l’acte créateur au sein d’une société prude : Flynt, comme Mozart et Andy Kauffman, sacrifie sa vie à l’expression la plus brute de sa fibre créatrice, jusqu’à devenir un martyr, dont le corps a été puni par la face la plus extrémiste de la répression morale (un taré conspirationniste).

Pour Flynt, l’Art, c’est la pornographie. Et, en bon précurseur (représentant, comme les deux hommes sus-nommés, une figure avant-gardiste), il instaure même au sein de la production de magazines coquins des photographies de vagins. Forman n’hésite d’ailleurs pas à jouer de cette image pour faire de Larry Flynt un héritier du Courbet de l’Origine du Monde. Ce parallélisme permet d’épouser la société et l’art qu’elle refuse, car ce qui relie les hommes entre eux à travers les âges, c’est l’affrontement qu’ils alimentent sans cesse entre leur personnalité artistique, leur offrande à l’Histoire de l’Art, et l’accueil que leur réserve l’autorité, autrement dit la populace savante, sacralisée, institutionnalisée.

En somme, en modifiant la perception habituelle que l’on a du créateur d’Hustler (un roublard se servant de l’attrait économique du sexe), Forman voit en Larry Flynt le récit d’un homme d’affaires très précoce qui, à l’inverse d’Andy Warhol, va faire d’un produit (le porno) de l’art, et non de l’art un produit. La victoire de Flynt, fruit de nombreux conflits juridiques accumulés des années durant, c’est la victoire de la Justice – incarnée par un jeune avocat contrastant avec la vieillesse de l’archaïsme moral – et c’est aussi celle du peuple, quand on connaît les origines pour le moins modestes du sieur (qui tout gosse vendait de l’alcool pour trois francs six sous). L’évolution des mentalités a donc bel et bien lieu puisque, par le prisme d’un individu vulgaire représentant le peuple, la contre-culture la plus obscène devient culture populaire.

Voilà en somme le cinéma social par excellence, révélateur des troubles d’une société, de ses anti-héros marginaux et de leur voix créatrice déterminante.

Clément ARBRUN

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